N°95
Nov./Déc. 2023
ALERTE

Avant-contrat suivi d'une absence de signature de l'acte de vente. Quel droit à rémuneration pour l'agent immobilier ?

HONORAIRE, ACTE AUTHENTIQUE, CONDITION SUSPENSIVE
 

Maître Alain COHEN-BOULAKIA, Avocat associé.

SVA - S.C.P. D'AVOCATS

La pratique révèle que les agents immobiliers rencontrent de plus en plus fréquemment des cas dans lesquels, alors qu'un avant-contrat a été signé, l'acte de vente définitif n'intervient pas. En vertu de l'article 6 de la loi HOGUET du 2 janvier 1970, aucune somme d'argent, au titre de l'entremise, ne peut être perçue par un agent immobilier avant que la vente « ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties ».

L'article 73 du décret d'application de la loi HOGUET « enfonce le clou » puisque son dernier alinéa indique : « Le titulaire de la carte professionnelle perçoit sans délai sa rémunération ou ses honoraires une fois constatée par acte authentique l'opération conclue par son intermédiaire ».

On pourrait donc en déduire, non seulement que l'agent immobilier (sauf exception en ce qui concerne les ventes entre professionnels) ne peut, sous peine de sanctions civiles et pénales par ailleurs, percevoir la moindre rémunération si la vente n'est pas effectivement conclue quel que soient les causes de cette absence de vente. On peut s'interroger en premier lieu sur le point de savoir si l'article 73 du décret ne vient pas ajouter à la loi, alors qu'un décret ne peut être contraire à la loi. L'article 6 de la loi HOGUET ne vient pas conditionner la perception des honoraires dus à un agent immobilier à la signature de l'acte authentique ; raison pour laquelle il a pu être soutenu qu'une promesse de vente valant vente dès lors que les conditions suspensives avaient été réalisées, il en résultait un droit à honoraires au profit de l'agent immobilier.

On regrettera les hésitations de la jurisprudence à ce sujet. Un arrêt de la Cour de cassation du 2 avril 2009 (Cass. Civ 1, 2 avril 2009 n°07-16.651) admet sans équivoque que l'agent immobilier a le droit au paiement de sa rémunération dès lors que le compromis de vente ne comportait aucune condition suspensive et concrétisait l'accord sur la chose et sur le prix conclu entre le vendeur et l'acquéreur. La renonciation ultérieure des parties à réitérer cet acte en la forme authentique ne pouvait avoir pour effet de priver l'intermédiaire de la rémunération qui lui était due. Ce cas vise des situations que des agents immobiliers peuvent rencontrer : à savoir la signature d'une promesse de vente suivie d'un accord entre vendeur et acquéreur pour renoncer à la vente effective du bien. Parfois par le paiement d'une indemnité au profit de l'une ou de l'autre des parties.

La Cour de cassation par une décision du 9 décembre 2010 (Cass. Civ. 1, 9 décembre 2010 n°09-71.205) martèle que dans la mesure où acheteur et vendeur ont signé un avant-contrat, que toutes les conditions suspensives sont réunies et que les parties n'ont pas entendu faire de la signature de l'acte authentique une condition de la vente mais l'ont simplement considéré comme une formalité destinée à en retarder les effets (ce qui est le plus souvent le cas) l'agent immobilier a droit à sa rémunération en cas d'absence de signature de l'acte authentique dès lors que l'acte écrit contenant l'engagement des parties, auquel l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970 subordonne le droit à rémunération , n'est pas nécessairement un acte authentique.

On pourrait par ailleurs soutenir que l'article 73 du décret 72-678 du 20 juillet 1972 ne vient pas contredire l'article 6 de la loi HOGUET, puisque l'article 6 évoque la notion de « droit à rémunération » alors que l'article 73 du décret n°612-678 du 20 juillet 1972 évoque la notion de « paiement » de la rémunération ; aussi si l'acte authentique ne peut être signée, dans des cas très précis le droit au paiement de la rémunération perdure.

Evoquons également le cas où l'une des parties, acheteur ou vendeur, souhaite « forcer la vente » alors que l'autre partie refuse d'exécuter ces obligations et de se rendre chez le notaire et alors que le compromis de vente est purgé de toutes les conditions suspensives. Il peut alors saisir le tribunal judiciaire d'une action en réitération d'acte. Le tribunal, dans certaines hypothèses, statuera à bref délai dans le cadre d'une procédure dite « à jour fixe », et il sera sollicité qu'il soit constaté que la vente est parfaite. Nous sommes en présence d'un jugement, en quelque sorte, « déclaratif » puisque c'est le jugement qui vaudra titre de vente sans qu'il soit besoin « de revenir » chez le notaire. Le jugement (comme l'assignation par ailleurs) fera l'objet d'une publication au fichier immobilier. L'agent immobilier sera bien inspiré d'intervenir volontairement dans cette procédure, par l'intermédiaire de son avocat, pour solliciter la rémunération qui lui est due. Cette action est assez rare, en définitive, car l'acheteur se trouve en première ligne, n'a le plus souvent ni le temps ni l'envie d'engager une action en justice.Il va s'intéresser à l'acquisition d'un autre bien immobilier et l'agent immobilier se trouve dépossédé de son droit légitime à rémunération puisqu'il a effectué toutes les diligences nécessaires pour parvenir à une vente, sans en récolter les fruits.

Fonder une demande dirigée contre le débiteur de la rémunération en paiement des honoraires convenus au mandat est toutefois un terrain glissant qui oblige de combattre l'argumentation tirée de l'application des articles 6 de la loi HOGUET et 73 de son décret d'application.

Sauf, à notre avis, le cas de la non-réitération de la vente par suite d'un accord entre vendeur et acquéreur ou lorsque la vente peut être considérée comme parfaite (cf ci-dessus), l'agent immobilier aura, dans le cas qui nous préoccupe, un intérêt à se placer sur le terrain indemnitaire. A savoir solliciter de la partie défaillante le paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la non-réitération de la vente à l'encontre de la partie qui a failli.

Il convient de distinguer 2 cas :

  • Le cas du recours contre le débiteur de la rémunération aux termes du mandat,
  • Le cas du recours contre le tiers au mandat

Par souci de simplification, nous considérerons que nous sommes en présence d'honoraires dus par le vendeur en vertu d'un mandat de vente. Mais le raisonnement est le même quel que soit le débiteur de la rémunération.

1°/ Le vendeur défaillant
Un avant-contrat a été signé. Le vendeur ne veut plus vendre.
En se plaçant sur le terrain indemnitaire, l'agent immobilier peut envisager de saisir les tribunaux en vue d'obtenir des dommages et intérêts. Il ne visera pas la loi HOGUET. La plupart des mandats contiennent une clause selon laquelle si le mandant refuse de signer l'acte translatif de propriété, il doit verser une indemnité compensatrice forfaitaire d'un montant égal à la rémunération prévue au mandat. Cependant cette clause ne peut venir contredire les dispositions d'ordre public prévues par l'article 6 de la loi HOGUET et se révèle inefficace, en fait. Raison pour laquelle, en invoquant une faute contractuelle, on peut éviter le couperet de l'article 6. C'est ce qu'a fait notamment la Cour d'Appel de Montpellier dans un arrêt du 5 mai 2021 en allouant à un agent immobilier une indemnité correspondant aux honoraires qu'il aurait perçu si la transaction avait été menée à son terme alors que celle-ci n'est pas intervenue du fait du vendeur.
Notons qu'à notre sens, il nous apparait important qu'en cas de signature d'un compromis de vente non suivi d'effet le prix de vente et le montant de la rémunération convenue au compromis soit identique aux énonciations du mandat amendé en tant que de besoin par un avenant. Il est important également d'établir que d'autres points factuels ne sont pas à l'origine de l'absence de vente effective, comme par exemple l'insolvabilité de l'acquéreur, un compromis prêtant à discussion.

2°/ L'acheteur défaillant
Un avant-contrat a été signé. L'acheteur ne veut plus acheter.
Si toutes les conditions sont réunies pour que la vente intervienne et que celle-ci est couronnée par un échec du fait de l'acheteur, une action à l'encontre de ce dernier, tiers au mandat, est envisageable. La partie à une promesse synallagmatique de vente ne stipulant aucune caducité, qui, par sa légèreté, fait échouer la réitération de la vente et fait perdre son droit à rémunération à l'agent immobilier mandaté par l'autre partie, engage sa responsabilité délictuelle à l'égard de ce dernier. Dès lors l'acheteur qui ne veille pas à ce que les conditions matérielles de la réitération soient réunies et renonce à la vente sans motif précis cause par sa légèreté un préjudice à l'agent immobilier indemnisable au visa des articles 1240 et 1589 du Code Civil.
L'agent immobilier a intérêt à soutenir, en cas de difficulté, qu'il appartenait à l'acquéreur de s'assurer que les conditions matérielles de la réitération étaient réunies avant la date butoir fixée par l'avant-contrat comme l'a retenu in fine, la Cour de cassation dans un arrêt du 8 juin 2023, (n°22.13-31).
Une mise en demeure adressée par l'agent immobilier et par le vendeur d'avoir à signer l'acte est bienvenu. Encore mieux, il est judicieux que l'acquéreur somme le vendeur de comparaitre en l'étude du notaire chargé de la vente et que ce dernier établisse un PV de carence. Certes le vendeur doit ici se montrer coopératif, même si, suite au PV de carence établi par le notaire il n'agit pas à l'encontre de l'acquéreur.

3°/ entre lassitude et détermination
Une fois de plus il est démontré, au travers des cas ci-dessus, que la sécurisation des honoraires constitue une véritable difficulté pour les agents immobiliers.
Alors qu'un vendeur peut renoncer à la vente sans être tenu au paiement des honoraires convenus au mandat et alors qu'une offre lui est adressée au prix et conditions de celui-ci, sans avoir à indemniser l'agent immobilier, sauf à établir une faute du dit vendeur, il est donc impératif de parvenir à la signature d'un avant-contrat, ou a minima, d'une offre acceptée.
C'est l'existence d'un « lien » entre vendeur et acquéreur qui peut davantage créer une situation permettant d'envisager une indemnité au profit de l'agent immobilier. Ce dernier adressera alors une mise en demeure à la partie défaillante puis jugera de l'opportunité de s'adresser à justice en faisant preuve d'une détermination sans relâche lorsque l'on connaît les délais pour parvenir à une décision de justice dans notre pays sont, qui sont tout simplement scandaleux, malgré les efforts des magistrats et des personnels des greffes. La justice civile est en déshérence et fait le bonheur des justiciables peu scrupuleux du respect de leurs engagements.Mais faut-il pour autant baisser les bras par lassitude ?

SVA / S.C.P. D'AVOCATS

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Photo | Maître Alain COHEN-BOULAKIA Avocat associé
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