Sept./Oct. 2023
La thèse du retour à la normale du marché immobilier : inaudible
Ça y est. Unanimement les acteurs de la transaction immobilière résidentielle reconnaissent des baisses d'activité significatives. Certes, le nuancier des baisses reste large, de -10% à -40%. On peut aussi, plus rustiquement, regarder l'effondrement de la production de nouveaux crédits pour approcher la réalité.
Les derniers mois sont en recul de près de 50%. L'indicateur des droits de mutation à titre onéreux encaissés par les collectivités locales n'est pas mauvais non plus, et il accuse pour le seul premier quadrimestre -12,5%. correspondant au ralentissement de la fin de 2022. En instantané, les départements ont le vertige et constatent qu'un tiers de la précieuse manne manque à l'appel, au point que la dotation globale de fonctionnement prévue à cet effet et un fonds spécial supplémentaire vont être sollicités au profit des départements les plus fragiles. La casse économique et sociale a commencé, avec des fermetures d'agences et des négociateurs privés de revenus, conduits pour certains à renoncer et à changer de métier. Dans ce contexte dégradé, les analyses fleurissent et les points de vue se multiplient.
Sans aller jusqu'à afficher la sérénité, certains grands acteurs développent une thèse rassurante de plus en plus partagée : le marché avait atteint des niveaux favorisés par les taux bas et un accès facile au crédit pour tous, encourageant des achats de confort, et on en revient à une activité normale. Des chiffres sont même avancés : avec 750 000 ou 800 000 transactions par an, le pays vivrait très bien. Cette thèse est bien difficilement audible.
En effet, au nom de quelle théorie rétrospective imaginer que le nombre d'opérations a cru de façon artificielle ces dernières années, pour atteindre 1,2 million de ventes et d'acquisitions ? Comment croire que des ménages, alors qu'ils n'en avaient pas besoin, aient changé de logement, juste pour utiliser leur faculté d'obtenir un crédit souscrit à bon compte ? A-t-on déjà vu un tel comportement pour un tel enjeu ? Les changements de logement sont motivés par des évolutions de vie, à l'exception de ceux qui ont lieu dans l'univers du luxe ou du marché spécifique des résidences secondaires. Ces deux segments obéissent à des logiques hédonistes, qui ne sont en effet pas dans l'ordre du besoin. Le reste du marché fonctionne pour apporter des solutions à des situations qui rendent nécessaire une nouvelle localisation ou une nouvelle typologie. Les cinq grandes causes de recherche d'un autre logement sont la constitution d'un couple, sa dissolution. les naissances et les décès, ou encore la mobilité professionnelle. Ces faits générateurs, avec lesquels on ne transige pas, sont à l'origine de près de neuf transactions sur dix. Il est clair que la distribution ouverte des crédits a permis la réalisation de projets qui ne seraient pas faits sans cet accès au financement. mais cette impossibilité auraient eu des conséquences néfastes sur la vie des ménages concernés, suroccupation des logements si un enfant doit dormir dans la chambre de ses parents, tensions conjugales si un couple est défait mais que les anciens conjoints sont contraints de continuer à cohabiter, fragilisation d'une personne devenue veuve et qui ne peut plus faire face à la charge d'un grand logement, temps de transport insupportable si un travailleur ne peut se rapprocher de son nouvel emploi.
Bien sûr, les conditions de financement ont favorisé de façon dommageable la hausse des prix, ces mêmes prix qui empêchent des milliers de ménages de mener à bien leurs projets : à supposer que leur situation ne soit pas trop dégradée par l'inflation, ils peuvent obtenir un prêt mais leur pouvoir d'achat logement est moindre de 25%, et la seule solution consiste à céder sur des critères de choix, en termes de superficie ou de localisation, voire de qualité et de performance énergétique. Bref, les attentes et les besoins sont là. On sait aussi qu'une partie de la demande ne s'exprime plus, à cause de l'ambiance économique générale, mais également à cause des risques géopolitiques, inconsciemment redoutés par les individus dans notre pays et en Europe plus largement. En somme, la dimension du marché de la revente des logements en France n'a pas changé. Il dysfonctionne et s'enraye, mais soutenir qu'il avait des dimensions artificielles pour atténuer la douleur de le voir aujourd'hui étouffer relève de la justification a posteriori.
D'ailleurs, les acteurs professionnels qui font cette analyse dénonçaient-ils ces dernières années l'inquiétante vigueur du marché de l'immobilier résidentiel ? Non, et pas seulement parce qu'ils y trouvaient un intérêt commercial légitime : ils voyaient s'exprimer des besoins et ils y répondaient. On entend d'ailleurs, souvent des mêmes exégètes, que les moindres besoins conduisent naturellement à la réduction du nombre de personnes et de structures au service des ménages, et que cela n'est que normal. On peut se demander comment cette réflexion est accueillie des femmes et des hommes qui sont entrés dans l'immobilier au cours des années récentes. et à qui on explique qu'ils sont devenus inutiles à leur secteur d'activité, ce secteur qu'on leur a à juste titre présenté comme gouverné par des besoins robustes et en croissance constante. En fait, on leur a dit la vérité et c'est aujourd'hui qu'on tord la réalité pour la rendre plus acceptable et plus digeste.
Il faut avoir l'honnêteté de reconnaître la pathologie à l'oeuvre. Le marché est malade. Soutenir qu'il était depuis plus d'une décennie dans une forme excessive et que cet état n'était pas durable n'est pas acceptable. Cette analyse en outre incline les pouvoirs publics à ne pas agir. Il n'est pas question de réclamer des aides qui contrarieraient la baisse des prix, mais sans doute de provoquer une révision des critères excessivement restrictifs d'octroi des prêts immobiliers, édictés avant que l'inflation ne bouleverse l'équation du crédit et de l'acquisition immobilière.
Autoriser les banques à considérer le reste à vivre plutôt que le taux d'effort libèrerait ainsi une grande partie des intentions d'achat. Pour les ménages les plus modestes, le rétablissement de l'APL accession, supprimée en 2017, serait également opportun. En tout cas, la décision publique, si elle est mal éclairée, ne sera pas au rendez-vous de l'histoire et ce sera assassin pour les ménages qui ne peuvent pas assouvir leurs besoins. Refaire l'histoire à rebours est tentant. Y céder fait courir le risque de se tromper de combat. Pis encore : de sombrer dans le déni. Oui, il est urgent de soigner l'asthénie du logement existant, qui porte aux familles et à la filière un grave préjudice économique et social.
Expression #94
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