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POINT DE VUE

Réformer la loi Hoguet : risques et opportunités pour les professionnels immobiliers

Henry Buzy-Cazaux Président fondateur de l'institut du management des services immobiliers Membre du Conseil National de l'Habitat (CNH) Président de Partage+ ©DR

Qui eût imaginé que le sujet aurait pris d'un coup une brûlante actualité ? On venait de fêter son jubilé, un peu comme on célèbre le respectable anniversaire d'une souveraine intouchable, et voilà qu'on ne parle plus que de l'opérer, et pas seulement pour lui supprimer des rides superficielles.

La loi Hoguet, la vénérable loi du 2 janvier 1970, est sous les feux de la rampe. Pourquoi ? Est-elle périmée ? Elle a juste son âge et bien des évolutions sont intervenues depuis sa promulgation. C'est au fond aussi simple que cela. Certes, elle a fait l'objet d'ajustements, mais rien d'assez radical. Et puis les réglages se sont faits sous contrôle de gardiens du temple zélés et les grands équilibres n'ont jamais été bousculés. On a même sans doute préféré l'hypocrisie à la conscience lucide de l'obsolescence rampante, pour ne fâcher personne.

Aujourd'hui, la péremption saute aux yeux, mais les regards sont-ils convergents sur le phénomène ? Le diagnostic est-il commun et tous les observateurs ont-ils envie de la même cure de jouvence ? Pas si sûr. C'est là le premier problème. Il y a des consensus, bien sûr, à l'ouvre depuis longtemps, par exemple pour permettre que tout soit digitalisé, les contrats et les process. On s'accorde aussi pour trouver que les mécanismes de sécurisation du consommateur et de prophylaxie des pratiques sont salutaires, et qu'il faut les sauvegarder : une aptitude minimum, une assurance en responsabilité civile professionnelle, une garantie contre les détournements des fonds confiés, l'obligation d'un casier judiciaire vierge. D'ailleurs, on serre les rangs pour maintenir l'édifice intact, au moment où l'Autorité de la concurrence, saisie par Bercy, acquise à l'idée que les barrières à l'entrée hérissées par la loi Hoguet enchérissent le montant des honoraires de transaction, n'exclut pas de déréguler la transaction en la sortant du cadre légal actuel.

Pour le reste, les modèles les plus récents et dont le succès commercial est établi, qui jouent selon certains avec les lignes de la loi, avec son esprit du moins, suscitent des questions : les réseaux de mandataires, fondés sur l'organisation d'un maillage dense d'agents commerciaux exerçant sous couvert d'une unique carte professionnelle, mais aussi les groupes nationaux, doivent-ils conduire à moderniser une loi qui était fondée sur des structures familiales et artisanales ? Oui, le législateur de 1970 voulait que le titulaire de l'autorisation d'exercer la transaction et la gestion pût physiquement contrôler ses préposés, dans une relation de proximité. Le développement d'entreprises tentaculaires de plusieurs milliers de salariés, même filialisées, ou encore de réseaux de mandataires en grand nombre n'exige-t-il pas une adaptation de la loi ? Les enseignes concernées ne le pensent pas, mais les acteurs plus traditionnels le pensent pour une part d'entre eux...avec l'arrière-pensée pour certains d'embarrasser l'expansion des acteurs les plus dynamiques plutôt que de la favoriser.

Et puis il y a d'autres sujets clivants, alors même que la loi Hoguet, modifiée profondément par la loi ALUR du 24 mars 2014 -modificative de la loi du 2 janvier 1970-, les a tranchés... à l'époque à la demande expresse des syndicats : l'obligation de formation pour les collaborateurs, salariés ou non-salariés, avant toute habilitation à exercer pour le compte du porteur de la carte professionnelle, et la commission de contrôle des professionnels. Ces deux dispositions, près de neuf ans après leur vote, ne sont pas applicables faute de textes règlementaires publiés. Entretemps, la commission de contrôle a été émasculée par une loi intermédiaire de 2018 -toujours sur commande de la profession, prise de remords tardifs-. Il s'en trouve du coup pour vouloir la renforcer, au moins en retournant à la version de 2014, qui la dotait de pouvoirs directs de sanction, et il s'en trouve pour vouloir l'enterrer à jamais, jugée inutile finalement. Quant à l'aptitude des collaborateurs, les débats vont bon train pour fixer son niveau, entre les intégristes qui aspirent à plusieurs centaines d'heures de formation, ceux qui estiment qu'une semaine serait suffisante... et ceux qui revendiquent la liberté du patron de choisir les collaborateurs qu'il veut, quitte à les former plus tard ou à laisser l'expérience faire son office.

En outre, au même moment où la transaction pourrait être libéralisée, la gestion serait mangée à une sauce toute différente. Les syndics de copropriété comme les gestionnaires locatifs sont de plus en plus, au gré des textes qui paraissent, investis de missions de service public. Ils en sont venus à se prétendre tiers de confiance. Ils sont en réalité d'authentiques relais de l'action publique, aussi pour utiliser les aides aux propriétaires et copropriétaires. La Cour des comptes, rien moins que la Cour des comptes, a ainsi estimé dans un récent rapport que les administrateurs de biens devraient être assujettis à des règles plus exigeantes, plus proches de celles qui régissent les activités ordinales, le droit ou le chiffre. De là à anticiper pour eux une loi Hoguet plus drastique, il n'y a qu'un pas.

Ces discussions ne récapitulent pas les interrogations pendantes. Le portage salarial, procédé d'ingénierie sociale apprécié dans tous les secteurs de service, est utilisé par les agences immobilières, mais certains, aujourd'hui réticents à y recourir, rêvent que la loi dispose clairement qu'un collaborateur salarié d'une structure de portage peut recevoir une mission de la part d'une agence, pour lever toute ambiguïté. On peut également évoquer la multiplication d'intervenants qui s'entremettent entre vendeurs et acquéreurs en se dispensant de répondre aux contraintes de la loi de 1970, sans que les juges n'y voient rien de répréhensible, au motif qu'il s'agit seulement de conseil sans véritable intermédiation. Les acteurs concernés ne sont pas enclins à demander un renforcement ni une clarification de la loi à cet égard, quand les professionnels titulaires de cartes voudraient un durcissement des dispositions légales.

On voit bien qu'une condition à l'ouverture sereine du chantier d'actualisation de la loi Hoguet ne sera pas facile à remplir : la cohésion des positions de la communauté professionnelle, pour éviter d'offrir le fâcheux spectacle de tiraillements à hue et à dia, face à des décideurs publics qui arbitreront. Ce n'est pas l'unique risque. Le risque politique exogène existe également, et beaucoup le redoutent. Il prend au moins deux formes. D'abord l'image des professionnels dans l'exécutif et au parlement est-elle assez forte, assez positive pour qu'aucune mesure malveillante et punitive ne soit introduite dans la loi ? Qui ignore par exemple que l'intention de plafonner les honoraires de vente figurait dans l'avant-projet de loi ALUR ? Et comment croire qu'elle ne puisse resurgir alors que les pouvoirs publics ont l'obsession du pouvoir d'achat des ménages, et guère de moyens financiers de le restaurer directement ? Sans parler de l'équation de la nouvelle Assemblée nationale, dans laquelle les forces sociales sont plus présentes que jamais : elles pourraient bien malmener des professions qui brandissent leurs valeurs libérales comme un code génétique...

En 1970, c'est l'initiative d'un député, inquiet que des ménages puissent être abusés par des professionnels indélicats, qui avait provoqué une véritable loi de police. Elle avait pour autant été coproduite avec une grande fédération, la FNAIM. En particulier, le dispositif original de la garantie financière -central dans la réforme Hoguet- avait été préalablement créé et mis en ouvre par une Chambre de ce syndicat, celle des Alpes-Maritimes, et il a inspiré le législateur. La communauté professionnelle a bel et bien maîtrisé son destin. Est-elle en 2023 en situation de renouveler l'expérience ? Au fond, c'est la question à laquelle elle doit répondre et personne ne peut le faire à sa place. Descartes éclaire le débat dans sa sixième Méditation métaphysique: «...je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu'un pilote en son navire »; les institutions à la manouvre sont aujourd'hui plus nombreuses qu'en 1970 -FNAIM, UNIS, SNPI, ANACOFI Immo, Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières, Conseil national de la refondation...-, et les relations complexes au sein même de l'écosystème immobilier, qui a bien du mal à les simplifier, fût-ce pour des enjeux supérieurs.
Enfin, pour le cas où le secteur ne s'estimerait pas prêt, il resterait une inconnue finale : serait-il en mesure de bloquer une réouverture du chantier Hoguet, désirée par une fraction non négligeable des professionnels et envisagée par l'État ? L'obstruction aussi nécessite une certaine solidarité. La collectivité professionnelle en outre y a-t-elle intérêt ? Ne vaut-il pas mieux attaquer plutôt que de jouer en défense ?
Il n'est pas incongru sur ce point d'invoquer Didier Deschamps après René Descartes.

Photo | Henry Buzy-Cazaux Président fondateur de l'institut du management des services immobiliers Membre du Conseil National de l'Habitat (CNH) Président de Partage+ ©DR

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