Mai/Juin 2022
Marché de l’immobilier résidentiel : opération vérité
Et si depuis deux ans l'immobilier s'était caché la vérité ? Et si elle était en train d'apparaître crument ? Depuis la déclaration de guerre de la Russie à l'Ukraine, le marché de l'immobilier marque le pas dans notre pays. Les raisons en sont simples : la peur d'un conflit étendu à l'Europe sinon au monde, la menace nucléaire, le malheur de voisins porté à notre connaissance par les images terribles diffusées par la presse et par l'arrivée massive de migrants, et puis les conséquences des tensions géopolitiques sur le prix de l'énergie et sur l'inflation, qui explosent. L'horizon des Français se bouche.
Certes, il est tentant de penser que tout cela sera de courte durée, que la paix va s'imposer. Rien n'est pourtant moins sûr. Surtout, le conflit fait apparaître l'urgente nécessité pour nous d'être sobres dans notre consommation d'énergie et moins dépendants des pays producteurs, et ces efforts seront désormais structurels et durables, pas conjoncturels et provisoires. La transition environnementale n'est plus une option et elle va coûter cher à tous les Français, très cher. Au plus mauvais moment.celui de la fin des aides publiques anti-Covid, les PGE et autres soutiens du « quoi qu'il en coûte ». Lequel « quoi qu'il en coûte » pourrait bien nous valoir une augmentation de la fiscalité, notamment immobilière, pour réduire le déficit budgétaire abyssal de la France. Ceux qui rêvaient un effacement de l'ardoise ou un étalement sur plusieurs générations en seront pour leurs frais. Plus personne de sérieux ne l'imagine, fût-ce en période électorale où les promesses inconsidérées vont bon train.
Les Français réalisent tout cela et diffèrent de réaliser leurs projets immobiliers. On les comprend. Ceux qui vont résister à cet abattement vont s'apercevoir que l'histoire les rattrape : les taux d'intérêt longs ont considérablement augmenté, au point que les équations d'endettement en sont bouleversées et que beaucoup ne s'équilibrent plus, avec notamment des exigences d'apport personnel. Des dizaines de milliers de dossiers d'accédants à la propriété et d'investisseurs vont être compromis. Certes ; les Français ont constitué une épargne. Abondante, mais pour l'essentiel elle l'a été par les plus hauts revenus et les autres ne peuvent compter sur cette ressource pour atténuer l'endettement et rendre possible le montage du crédit.
La vérité est évidente mais on n'a pas voulu la voir : les ménages français n'ont pu continuer à acheter des logements que parce que l'économie a été mise sous perfusion, et depuis bien plus longtemps parce que les crédits étaient très peu chers et que leur distribution était large. La donne change radicalement. À Paris, où l'on entendait que les prix ne baisseraient jamais tant l'attractivité de la capitale était forte, ils cèdent. Il ne s'agit pas d'effondrement, mais d'ajustement. Les autres métropoles, dont les valeurs s'étaient éloignées des capacités contributives des individus et des familles, suivront à n'en pas douter. Les villes moyennes, dont les prix ont connu pour certaines d'entre elles depuis la pandémie des augmentations à deux chiffres sur une année, devaient bénéficier d'un rattrapage, mais il va falloir qu'elles calment le jeu également, sauf à n'être plus accessibles aux autochtones. Cette séquence macro-économique nous jette au visage une réalité violente : notre pays est face à l'urgence de repenser la formation des prix des logements, qu'ils soient neufs ou existants. Ces prix sont déconnectés des revenus des ménages et l'effort à déployer pour les acquérir, s'il n'est atténué par les aides ou le crédit pas cher, est difficilement supportable. Même avec ces amortisseurs lorsqu'ils fonctionnent, le reste à vivre est obéré et c'est la consommation et la croissance qui en pâtissent.
Il s'ajoute à la fin de l'étrange euphorie de la période covid les conséquences de la transaction écologique : la hiérarchie des performances environnementales va installer, qu'on le veuille ou non, un nouvel ordre des valeurs de l'immobilier résidentiel. Le prix des passoires énergétiques et plus largement des biens mal classés dans l'échelle du DPE (diagnostic de performance énergétique) vont accuser le coup. Ce mouvement inéluctable va redonner de l'oxygène aux primo-accédants, mais compliquer le jeu des quelque 40% d'acquéreurs qui recyclent le fruit de la cession d'un logement pour en acheter un autre : pour la plupart d'entre eux, ils investissent dans un logement plus onéreux, avec une situation, un standing et une superficie plus flatteurs.
Bref, le marché de l'immobilier d'habitation est en train de se dérégler. En fait, il apparaît sous son vrai jour : fragile et trop dépendant. Il va appartenir au prochain locataire de l'Élysée et au prochain gouvernement de s'attaquer à ce problème fondamental, en revisitant les aides d'une part, la fiscalité de l'autre. Il n'est que temps de mettre plus d'intelligence, de créativité et d'équité dans la politique du logement. Depuis des années, elle obéit davantage à des impératifs de correction qu'à la prise d'initiative et à l'anticipation. Elle s'accommode aussi de constater de façon tautologique que ceux qui ont les moyens d'acheter le font et que pour les autres il y a le statut de locataire du parc privé, voire d'occupant des HLM, toujours insuffisants. Cette pensée trop courte a fini par faire du logement une bombe à retardement sociale. Il faut désormais le traiter comme un sujet majeur de l'action publique, et non comme une variable d'ajustement confiée à un ministre sans pouvoir ni considération à la mesure des enjeux. Voilà la vérité politique qui doit s'imposer face à une vérité économique cruelle.
Expression #84
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