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POINT DE VUE

Pourquoi le logement n’est-il pas un sujet de campagne présidentielle ?

Le constat est partagé par tous les observateurs, non seulement membres de la communauté immobilière -qu'on pourrait estimer juges et parties-, mais aussi journalistes ou simples citoyens : le logement n'est pas un thème structurant de la campagne pour les élections présidentielles.

Elle préfigure en outre la courte campagne de deux mois pour le renouvellement de l'Assemblée nationale et l'élection de nos députés : il est peu probable que de nouveaux sujets se fassent jour entre les deux échéances, à la fois à cause du délai réduit entre les deux événements et parce que les protagonistes sont les mêmes. Ce sont en effet les soutiens de campagne des candidats qui vont se présenter à leur tour au suffrage des Français. Mêmes acteurs, mêmes combats et mêmes silences. La plus récente initiative d'acteurs majeurs du logement est cette lettre ouverte publiée dans la presse il y a quelques jours, cosignée des présidents des principales organisations professionnelles, pour exhorter les politiques à se pencher sur le dossier logement.

Après le constat, l'étonnement est partagé : comment la classe politique n'est-elle pas obsédée par le logement alors que la question du pouvoir d'achat est, elle, centrale et que le logement constitue le premier poste budgétaire des ménages ? On peut aller plus loin : les sondages auprès de l'opinion font également ressortir que nos compatriotes ne citent pas le logement parmi leurs premières préoccupations ! Lorsqu'ils sont interrogés sur ce qui dégrade leur pouvoir d'achat, ils évoquent bien sûr les loyers et les prix d'acquisition, mais rarement en top of mind, c'est-à-dire au rang de leurs soucis prioritaires. Serait-on en train de voir un problème où il n'existe pas ? Non, on sait sans se tromper que le rapport des Français au logement est pour une partie majeure d'entre eux pathologique, à des titres divers, des situations de désarroi et de privation de toit aux tensions économiques, avec des difficultés à acquitter son loyer, sa traite d'emprunt ou ses charges. À cet égard, le rapport de la Fondation Abbé Pierre apporte une démonstration peu contestable et peu contestée.

Alors d'où vient ce paradoxe que l'un des problèmes essentiels du pays soit tu ou presque dans les discours publics ? On pourrait soutenir à l'emporte pièce que nos candidats et ceux qui les entourent méconnaissent la réalité, sont hors sol et n'aient aucune conscience de la réalité. Un peu rapide. Au demeurant, tous ne doivent pas tomber sous le coup de la même accusation : certains en parlent, certes davantage en réponse à des questions précises que spontanément, mais on n'a pas non plus le droit de mettre à la toise à cet égard tous les candidats. À croire que certains sont mieux conseillés et sensibilisés que d'autres. Car une première raison à ce traitement insuffisant du sujet tient à la structuration des équipes : beaucoup n'ont pas pris la peine de désigner des spécialistes et de les investir de la mission d'écrire une doctrine pour le logement. Une autre raison tient à l'expérience du candidat : avoir été maire donne une longueur d'avance, a fortiori d'une grande ville, alors qu'un passé parlementaire ne dote pas des clés de lecture des problèmes au même degré. Et puis, il faut le dire, les candidats sont bien logés. C'est une banalité mais elle compte : si l'on ne prend pas la peine de palper la situation des ménages et qu'on ne vit pas dans sa chair le problème, alors on n'en mesure pas l'acuité. Enfin, la communauté immobilière doit balayer devant sa porte et ne pas, tel Aznavour dans sa chanson « J'me voyais déjà », s'exonérer à bon compte de toute responsabilité : « Ce n'est pas ma faute, mais celle du public qui n'a rien compris ». Parle-t-on comme il le faudrait du logement ? Non, trois fois non. Plusieurs faiblesses expliquent que les messages ne passent pas. Biopsie.

D'abord, l'éclatement des sources. Pas moins d'une quinzaine de syndicats et ordres, représentant certes des professions distinctes, pour autant aux intérêts liés, et toujours pas de plateforme commune de propositions. La simplification du paysage syndical serait une voie, mais a minima une unisson une fois tous les cinq ans serait salutaire. Or, cette dispersion apparaît au grand jour : chaque institution, du moins les plus puissantes, y va de son événement pour rencontrer les candidats, qui sentent bien que l'univers immobilier manque de cohésion. L'immobilier n'est pas un pack soudé qui pousserait dans la même direction pour marquer l'essai. La façon de parler du logement est critiquable : combien d'expert tiennent des propos. d'experts ! Les acronymes volent sans traduction, on descend à un degré de précision technique qui dissuade et n'est pas du niveau d'un présidentiable. Les interlocuteurs immobiliers attendent des élus qu'ils aient la même compétence qu'eux et ils ont tort. Du coup, ils ne s'attardent pas assez sur les enjeux, ne prennent pas assez de hauteur, et ne placent pas le consommateur au centre de tout. Par exemple, déplorer que la production de logements soit insuffisante est trop court et il est nécessaire de diagnostiquer les effets pour les familles. On manque d'ailleurs d'études : dans ce pays développé, est-il avouable qu'aucun outil n'existe qui mesure les besoins en logements ? Le dernier travail sur ce sujet a été mené en.2002 par l'Université Paris Dauphine et sa chaire d'immobilier et on vit encore sur ses conclusions, actualisées au coin de la table. Une honte française. Dans ce contexte d'ailleurs, le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre tient lieu de bible à bon compte : il n'a pas de concurrents.

Les discours courent au demeurant un autre risque à force de ne pas prendre en compte le résultat final pour les ménages et à force d'être multiples : la suspicion de corporatisme. Les HLM s'expriment ? C'est forcément avec l'arrière-pensée de capter les faveurs des politiques pour le seul logement social. La Fédération des promoteurs ? C'est pour que le neuf soit favorisé par rapport à la rénovation du patrimoine existant. La FNAIM ? Pour que l'ancien truste les aides. Dans le meilleur des cas, à moins que ce ne soit le pire, les candidats disent ici ce qu'on veut qu'ils disent, et là profèrent un autre message, plus convenable pour l'assistance du moment. Le corporatisme induit le clientélisme. Ne peut-on même regretter que certains grands lobbies de sensibilité de gauche n'invitent pas les représentants de l'extrême droite, alors que tous les sondages d'opinion les créditent d'un tiers des intentions de vote en cumulé, parce qu'ils incarneraient des idéaux politiques nauséabonds ? Ne leur donne-t-on pas indirectement une tribune facile en leur intentant un procès a priori ? L'inverse est vrai : les candidats d'extrême gauche, acquis à l'idée de l'encadrement des loyers et du rétablissement de l'ISF, ne sont pas toujours bienvenus auprès des lobbies libéraux.

D'autre part, la communauté immobilière pèche encore souvent par absence de propositions. Les critiques sont formulées, pour la plupart légitimement, avec une bonne appréciation des préjudices, mais les idées fortes et innovantes sont rares. Le manque de cohésion entre les acteurs en est cause, les propositions ne font pas système et une politique du logement doit être une et indivisible. Elle ne peut être l'addition de politiques infra-sectorielles sans synthèse possible. Enfin, depuis deux ans, les déclarations dominantes des professionnels immobiliers sont flamboyantes. Elles expliquent la résilience du logement à toutes les crises, elles mettent en avant le nombre record de transactions en pleine pandémie, elles claironnent sur l'augmentation ininterrompue des prix, avec même l'apparition de hausses puissantes là où les valeurs stagnaient, villes moyennes et communes rurales, et elles soutiennent que le mouvement ne s'interrompra pas. Bref, la grande santé, au point de faire oublier le chaos de la construction et tous les autres maux. Comment les politiques les moins avisés de logement comprendraient-ils que l'immobilier mérite tous les égards ? Il marche à plein. Les médecins ne s'attardent pas sur les bien portants. L'immobilier s'expose davantage dans ce contexte à une sur fiscalisation qu'à un afflux d'aides ou à une considération marquée...

On le voit, les causes du faible intérêt pour le logement de la part des candidats à l'élection suprême sont nombreuses et il n'est que temps d'y remédier. Sans cela, dans cinq ans encore, l'habitat des Français ne mobilisera pas plus ni les consciences des futurs élus, ni leurs énergies, ni les politiques publiques dessinées et mises en oeuvre.

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