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POINT DE VUE

Obligation d'aptitude pour les collaborateurs : un enjeu majeur

On l'attend depuis huit ans. C'est long, scandaleusement long. Près de huit ans qu'aurait dû paraître le décret d'application de la loi ALUR du 24 mars 2014 précisant quelle aptitude minimum est requise pour pouvoir être habilité à négocier ou à gérer en tant que collaborateur d'une agence immobilière ou d'un cabinet d'administration de biens.

Scandaleux envers les parlementaires qui ont voté cette disposition, et dont la volonté est méprisée. Scandaleux vis-à-vis des organisations professionnelles qui avaient signé en 2010 un livre blanc dans lequel elles demandaient expressément cette mesure. Inacceptable pour les ménages que l'obligation de formation préalable à l'entrée dans le métier venaient sécuriser. On rappellera en effet une réalité : la probabilité que le client ait affaire dans une agence immobilière ou un cabinet de gestion à un collaborateur est de l'ordre de 90%...

Oui, la structure même du tissu des professionnels de service à l'immobilier a bien changé entre les années 70 et la loi inspirée par le député Michel Hoguet, et nos jours. Alors qu'il était constitué d'entreprises artisanales et familiales, sans même de succursales, il est marqué aujourd'hui par des enseignes nationales, régionales ou locales avec des équipes plus nombreuses et une pluralité d'ancrages. Le management s'opère par des canaux fondamentalement différents, avec une moindre proximité physique entre le dirigeant de l'entreprise et celles et ceux qui sont ses préposés et s'entremettent en son nom, sous la responsabilité de son autorisation d'exercer, sa carte professionnelle pour le dire simplement. Le législateur de 1970, qui a encadré les activités de transaction et de gestion immobilières, a réglementé les professions telles qu'elles étaient alors organisées. Celui de 2014 a actualisé son travail utilement.

Parmi les entreprises qui se sont développées par la multiplication des acteurs, les réseaux de conseillers indépendants, appelés plus couramment réseaux de mandataires. Un indicateur majeur de leur réussite est le nombre des agents commerciaux qui oeuvrent sous leur enseigne, grâce aux outils mis à leur disposition. Les plus forts et les plus dynamiques revendiquent désormais plusieurs milliers de femmes et d'hommes dans leur giron. C'est chacun d'eux qui porte la marque, bien plus que le dirigeant titulaire de la carte professionnelle sous le couvert de laquelle ils sont habilités à procéder à une transaction. On pourrait objecter qu'ils ne sont pas autorisés par la loi à rédiger des avant-contrats ni à encaisser des fonds. Là n'est pas l'essentiel : ils accomplissent des gestes professionnels à forts enjeux, comme d'ailleurs les gestionnaires des plus importants cabinets. Chacun doit pouvoir attester d'une compétence minimum pour le client qu'il sert.

Voilà l'enjeu. Et les entreprises qui ont le plus de collaborateurs, quel que soit leur statut, doivent être les plus attentives à rassurer le consommateur à cet égard, parce que l'indépendance de droit -lorsque ce sont des agents commerciaux- ou de fait -simplement parce que la distance avec le management les rend plus autonomes- de leurs représentants sur le terrain est indéniable.

Pourquoi ce décret ne sort-il pas et de quoi parle-t-on vraiment ? L'obligation a-t-elle des raisons de faire peur ? Non, on parle d'une semaine de formation continue sur les fondamentaux juridiques, qu'il serait opportun d'assortir d'une semaine de stage d'observation et d'appropriation des pratiques. Ce parcours serait la condition pour qu'un titulaire de carte puisse demander une habilitation pour son collaborateur, en transaction comme en gestion. Les objections alors ? La liberté du patron de choisir les personnes qu'il souhaite pour constituer son équipe. L'argument ne tient pas lorsqu'il s'agit d'activités règlementées : un délégataire se livre aussi à une activité règlementée et il doit donner des gages de réassurance comparables. Autre objection : la difficulté majorée de trouver des collaborateurs, dans une période où ce sujet est déjà délicat.

Enfin, comment expliquer que l'obligation de se former ferait baisser l'attractivité des métiers immobiliers ? Les métiers les plus séduisants sont les plus exigeants en compétences à acquérir ! Qui croit qu'on devient pilote de ligne ou médecin sans s'y former ? À l'inverse, on imagine un négociateur venant de signer son contrat de salarié ou de non salarié, l'annonçant à son entourage et fier d'ajouter qu'on va d'abord le former.quand tous pensent que cette profession est ouverte à tous les vents. Une objection encore : puisque toutes les entreprises le font déjà, pourquoi créer une obligation ? Pour trois raisons. D'abord, il est malheureusement faux que toutes les agences et tous les cabinets le font et les chiffres d'OPCOEP, le financeur attitré de la branche de l'immobilier, le démontrent, rapportés au nombre de nouveaux entrants dans la profession chaque année. Ensuite, les formations dispensées à l'entrée sont le plus souvent strictement commerciales et tournées vers l'efficacité immédiate, ou encore ciblées sur l'activité qui sera celle du collaborateur.

On considèrera par exemple qu'un gestionnaire locatif doit connaître les rapports entre bailleur et locataire, mais la loi sur la copropriété ne lui est pas indispensable, ou encore qu'un négociateur a toujours le temps d'apprendre la déontologie. Enfin, une obligation est très vite connue du public et elle permet de réévaluer les métiers et les fonctions. Au demeurant, il faudra quand le décret sera paru que gouvernement et organisations professionnelles fassent un puissant marketing de ces nouvelles exigences. À quoi servirait d'être vertueux si personne ne le sait ?

En somme, il importe que ceux qui ont voix au chapitre dans la profession passent de la crainte à l'enthousiasme. sans délai : la ministre du logement a manifesté il y a quelques semaines la volonté de signer ce décret d'application. Il suffit qu'elle sente une adhésion suffisante pour passer à l'acte, au côté des autres ministres concernés, ceux des PME et de la justice. Ce sera une belle marque d'estime envers des professions désormais assimilées par les pouvoirs publics à des tiers de confiance. On attend aussi des députés et des sénateurs, au titre de leur pouvoir de contrôle de l'application des lois, qu'ils ne se satisfassent pas que leur travail soit mis à bas.

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