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POINT DE VUE

L'intenable paradoxe de la politique du logement

On n'accepterait pas sans broncher qu'à un malade au bord de l'asphyxie on prescrive en urgence et sans discussion une opération de chirurgie plastique réparatrice.

C'est pourtant un peu ce qui se passe pour le logement : au moment où la production plonge vers les 300000 unités, étiage qui ramène le pays 30 ans en arrière, on emploie toutes les forces vives et toutes les intelligences à la rénovation énergétique du parc et au durcissement des règles environnementales pour les promoteurs et les constructeurs. Par une sorte de miracle, on admet ce paradoxe inédit. Pis : le premier qui oserait pointer du doigt une incohérence serait voué aux gémonies et bientôt exécuté pour transgression de la pensée unique.

Car c'est bien une pensée unique qui s'impose, une authentique idéologie, qui emporte tout sur son passage et n'admet ni nuance ni objection. Les voix sont bien ténues qui s'élèvent pour s'étonner que l'année de la pire crise de production de logements que le pays ait connue depuis plusieurs décennies soit consacrée à l'élaboration d'une loi monumentale sur le respect du climat et la frugalité énergétique. Pas de plan de relance mais, pour reprendre les propres mots de la ministre de l'Écologie Barbara Pompili un big bang environnemental. Le choc d'offre, expression macronienne du début du quinquennat associée à la loi ELAN qui devait conduire la France à construire plus, plus vite et moins cher, a fait place au big bang. Nos responsables politiques rivalisent d'ingéniosité rhétorique pour frapper les esprits et on en vient à se demander si le faire savoir ne l'emporte pas sur le faire et sur le savoir-faire. En tout cas, le patient aura été choqué et choqué encore, mais on attend qu'il se rétablisse et se lève et cette échéance recule sans cesse. On n'a pas assisté au choc d'offre, assistera-t-on au big bang de la relance de la France par la transition énergétique de l'immobilier résidentiel ? Les formules sont trouvées avec aise, les faits sont plus têtus.

Dénoncer un paradoxe, que les plus sévères qualifieraient d'imposture, ne sert de rien si ce n'est pour proposer des solutions. Laquelle dans une situation tellement établie ? Il n'est pas question de vouloir contrarier l'élan de rénovation énergétique du parc, d'autant qu'il vient rattraper un retard accumulé depuis les lois Grenelle 1 et 2 et le choix stratégique du Président Chirac que la France soit pionnière dans la lutte contre le réchauffement climatique et l'altération de la planète. On a peiné à trouver les chemins et les moyens, tout particulièrement pour les copropriétés, les maisons individuelles comme les bâtiments publics. Il faut forcer l'allure et on ne peut nier que les menaces s'aggravent, de la multiplication des épisodes de pollution au dérèglement des températures. Et il n'est pas question de transiger avec la nécessité économique, sociale, démocratique et républicaine de loger les ménages français. En outre, la crise sanitaire, en déclassant des millions de familles et d'individus, nous met au défi de trouver des solutions à des problèmes qu'on ne soupçonnait pas. On s'accommodait de distinguer la population relevant de la solidarité, de la Fondation Abbé Pierre ou d'Habitat et humanisme, des gens normaux, et voilà que le mur tombe et qu'on s'aperçoit qu'il était poreux, que la plupart peuvent basculer en quelques mois, qu'on n'est pas à l'abri de devenir sans abri.

D'accord quant à définir des règles strictes pour rénover et bâtir en sorte de rendre l'immobilier résidentiel vertueux, à la condition qu'on ouvre les yeux sur la nécessité de créer les conditions budgétaires pour tous les ménages. Les aides sont précieuses et elles sont là. En revanche, il faudra les proroger au-delà des deux ans prévus et revoir la fiscalité pour qu'elle incite à engager des travaux. Pas le moindre pas dans cette direction depuis le début de la législature, en dépit de promesses claires. Rien non plus pour catalyser l'offre foncière à des prix maitrisés. On ne sait ainsi ce qu'est devenue la proposition de loi du député Jean-Luc Lagleize, enlisée au Sénat. Sera-t-elle reprise dans le projet de loi dit « 4D » ? Rien sur la simplification des normes, sujet ouvert par...Benoist Apparu alors ministre du logement en 2011 ! Elles étaient 6000 à l'époque, elles sont 8000, qui pèsent sur chaque promoteur. Quant à la digitalisation des procédures, que l'ELAN devait entrainer, elle balbutie. L'accompagnement financier vers la propriété a aussi fait les frais de l'impéritie de l'État : pour économiser 10% du budget du logement, on a réduit des aides aux acquéreurs : il serait courageux de reconnaître l'erreur en la matière et de corriger le tir.

Enfin, les relations entre l'exécutif et les maires sont dégradées. Ce ne sont pas les seuls maires verts qui ne signent plus les permis de construire, mais plus largement ceux qui déplorent l'assèchement de leurs ressources du fait de la suppression de la taxe d'habitation, pour l'instant compensée par l'État, avec un doute sur la pérennité d'un mécanisme fondé sur les rentrées de TVA, aujourd'hui frappées d'asthénie. Des maires dont on a voulu rogner les indemnités, alors qu'ils travaillent toujours plus en prenant toujours plus de risques. Des maires qui auront fait face à la pandémie en relais de l'État, sinon à la place de l'État. Les plus bâtisseurs des maires sont en train de perdre l'envie de bâtir et elle ne gagnera pas les autres de sitôt.

Et puis il ne faudrait pas que la partie logement du projet de loi de Barbara Pompili à l'examen du parlement n'alourdisse les contraintes pour les propriétaires de logement. La coupe est pleine. Il faut le dire haut et fort, et sans modération l'acceptabilité populaire ne sera pas au rendez-vous, faisant craindre que la loi ne soit pas appliquée et que l'État échoue, la nation entière avec lui. La RE 2020 ? Est-il utile de vouloir que la France soit exemplaire ? Peut-on courir le risque d'une hausse des prix de 7 ou 8% ?

Les paradoxes ont la vie dure. Il reste qu'on ne gère pas un pays sur des paradoxes politiques. En 1957, après l'insurrection de Budapest finalement écrasée, Paul Ricoeur, de qui Emmanuel Macron fut l'assistant et le disciple, théorisait le paradoxe politique, dans un article célèbre de la revue Esprit. Il se demande comment articuler la modernisation rationnelle et la violence archaïque. Le paradoxe à dénouer ici et maintenant est plus simple : moderniser tout en remplissant la mission régalienne de loger tous les Français

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