Jan./Fév. 2021
Immobilier : l'année de l'harmonie ?
Il y en aura eu des heurts, il y en aura eu des ruptures en 2020. Celles que la pandémie nous aura fait subir, bien sûr, avec son cortège de morts et de privations de liberté et d'épreuves économiques sans précédent.
L'immobilier aura payé son tribut, comme les autres secteurs, moins que d'autres au fond...mais dans le pire, faut-il établir une hiérarchie des maux et des douleurs ? Des figures nous ont été enlevées, jeunes, plus âgées, et s'il n'y en avait eu qu'une elle eût été de trop. Parmi les premières, Jean-Philippe Ruggieri, cinquantenaire, brillant dirigeant d'un groupe leader, si humain. Il ne fait pas oublier les autres, il est plutôt l'emblème de ces femmes et de ces hommes de qui ont ne peut pas croire qu'ils sont partis, ne serait-ce que parce qu'on n'a pas pu les accompagner. Tiens, c'est l'anthropologue Lévi-Strauss qui avait établi que le point commun entre toutes les civilisations, la marque de la civilisation en quelque sorte, était l'estime des défunts et l'observance de rituels de deuil : la covid-19 nous a fait entrer dans la barbarie en nous empêchant de participer aux départs de nos proches.
Pour le reste, l'immobilier a bien résisté, parce que les ménages ont bien dû trouver des solutions pour se loger et que la communauté professionnelle a continué à les servir, au prix de changements de pratiques, en se convertissant au digital plus vite qu'elle ne l'aurait fait en temps ordinaires, pour la gestion comme pour la transaction. On parle de résilience, sans même savoir qui est l'inventeur de ce terme, le neuropsychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik. Le marché aura néanmoins perdu du souffle, sans doute 15 ou 20% de son activité, et il est clair que les ménages les plus fragiles auront été tenus à l'écart de l'acquisition, remplacés par de plus aisés. Ce sont donc 150000 ou 200000 projets logement, pour certains urgents, qui auront été mis à bas, que le solde net correct a du mal à cacher. Là encore, il serait indécent de prétendre que ce n'est pas grave, juste parce que cela aurait pu l'être davantage. Sans compter que rien n'est résolu et que 2021 va jeter une lumière crue sur les conséquences tous azimuts du coronavirus. Elles sont devant nous, qui vont disqualifier, éliminer, faire basculer, des individus dans le mal logement et des entreprises dans la spirale des procédures de cessation d'activité.
Cette guerre, pour reprendre l'expression même du Président de la République, a déclenché ou catalysé les plus beaux réflexes de solidarité. Les soignants ont montré l'exemple, bien sûr, mais partout ou presque ces élans se sont constatés. Pourtant, dans ce contexte terrible, l'immobilier a réussi à continuer à se bagarrer, à faire prévaloir ses bisbilles, ses chicayas, ses égoïsmes internes. Il n'est pas question ici de montrer du doigt, de désigner des coupables : l'auteur de ces lignes fait partie intégrante de cette collectivité et la responsabilité est collective. Les heurts se sont multipliés et tous les heurts sont des échecs, échecs de la composition, de la négociation, de la discussion, de la modération. Personne n'en sort vainqueur et rapportés à la situation sanitaire, économique et sociale, que tout cela semble vain, dérisoire, fâcheux ! Pour illustrer, on a malheureusement l'embarras du choix. En plus, ces heurts, eux, n'ont pas été confinés et la plupart ont été rendus publics, c'est-à-dire que l'opinion en aura été témoin.
Allez, pêle-mêle, un petit éventaire des événements dissonants. Un corps professionnel, par la voix d'une fédération majeure, qui se choisit une apparence partagée, Vesta, qu'une autre grande profession de l'univers immobilier, les notaires, trouvent usurpée et trop ressemblante à leur propre symbole. Des procès à la clé et une bataille médiatisée. On ne peut non plus passer sous silence que les agents immobiliers ont voulu ce signe pour séparer le bon grain de l'ivraie, à savoir les porteurs de carte professionnelle et les agents commerciaux, qui n'ont pas le droit de rédiger les avant-contrats ni de percevoir d'indemnité d'immobilisation. C'est encore en 2020 que les deux mêmes professions, agents immobiliers et notaires, se tancent mutuellement sur leur efficacité à mener à bien une transaction par des procédures dématérialisées, au coeur du premier confinement.
Les exclusions et les excommunications sont allées bon train aussi : les réseaux d'agents commerciaux, appelés couramment réseaux de mandataires, sont encore l'enjeu de débats au sein des organisations : sont-ils fréquentables...avec près du cinquième du marché intermédié ? C'est une raison de l'apparition, à côté de l'AMEPI, d'autres solutions de partage des mandats exclusifs, qui elles n'ont pas distingué entre les pratiques professionnelles et les modèles économiques et recherchent la plus large adhésion de spécialistes de la transaction. On aura vu aussi en 2020 les deux premiers syndicats de l'administration de biens et de la transaction ne pas parvenir à fusionner, après deux ans de travail, et trois tentatives depuis vingt ans. On entend qu'elles continuent et ne perdent pas espoir. Franchement, les observateurs ne sont plus aussi optimistes.
On pourrait aussi évoquer la cacophonie dont le secteur s'est fait une spécificité entre les statistiques et les prévisions, et c'est franchement dommageable quand l'économie et la société sont malades comme jamais : un diagnostic unique aiderait à choisir les remèdes. Plusieurs observatoires des ventes et des prix, plusieurs observatoires des locations, dont un privé ressuscité en 2020 et un semi-public créé la même année ! On a vu aussi les autorités prudentielles du crédit nier pendant des mois que le renforcement des critères d'octroi de crédit immobilier soit inopportun...avant de faire machine arrière, poussé par les courtiers, dans le silence assourdissant des banques et l'adhésion partielle des grandes enseignes immobilières.
On va arrêter là l'énumération des heurts de 2020. On va souhaiter une année 2021 plus digne des circonstances, plus digne des familles françaises, plus digne aussi des acteurs professionnels, avec plus de hauteur. Une année qui recherche l'harmonie, la cohésion, le respect, ou seulement la tolérance -on s'en contenterait-. Histoire de ne pas gâcher les énergies ni les moyens et de les mettre au service des vraies causes.
Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers, président du think tank « République et logement »
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