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POINT DE VUE

Se méfier de l'enthousiasme immobilier

Le Président de la République nous a avertis : le monde d'après la pandémie et le confinement ne sera pas comme le monde d'avant. Le ton ne laissait pas place à l'ambiguïté : l'après serait plus heureux que l'avant.

Le moins qu'on puisse dire est que nombre de voix fortes de l'immobilier lui donnent raison, en exprimant un enthousiasme exceptionnel : l'intérêt des Français pour l'acquisition immobilière n'a pas fléchi, ils achètent plus encore qu'avant. Mieux encore : les territoires naguère délaissés, les villes moyennes, les espaces ruraux, connaissant des heures fastes, les ménages n'ayant plus envie des métropoles malsaines. Le télétravail permet ainsi tous les choix et le temps est révolu où l'on aspirait à vivre près du siège de son entreprise. Quelques-uns nuancent et ils sont bien peu audibles dans le concert merveilleux des appréciations béates.

Pour sourire, on citera un ancien ministre, philosophe de métier, Luc Ferry, qui a ainsi réagi à la phrase du Chef de l'État : « Le monde d'après sera comme celui d'avant, mais sans argent. »

On pourrait ajouter que bien des inconnues troublent la visibilité de ce monde de demain, notamment quant à la structure à venir des emplois. Revue de détail, afin de savoir si l'on doit en effet céder à la béatitude ou s'inquiéter à l'inverse, pas pour s'asseoir et pleurer mais pour prévoir.

D'abord, quand on décrit le premier mois post-confinement comme l'un des plus exceptionnels que l'immobilier n'ait jamais connu, il serait bon de regarder de près qui continue à acheter. D'évidence, ce sont des ménages que la crise n'a pas privé d'emploi, sans quoi ils n'auraient pas accès au crédit, et dont le pouvoir d'achat immobilier n'a pas été affecté. En clair, pour ceux-là, pas de passage à temps partiel maintenu et non compensé, pas de menace sur les éventuelles primes de fin d'année, pas d'effondrement du chiffre d'affaires s'ils sont indépendants ou professions libérales. On semble nous expliquer que la nation est massivement touchée ou le sera à court terme, mais pas ceux qui s'intéressent à l'immobilier. La vérité est autre : en 2020, peut-être encore en 2021, entre 20 et 30% des acquisitions de logements existants et neufs ne se réaliseront pas, juste parce que 20 à 30% des ménages seront rudement atteints et désolvabilisés. On se réjouira que 70 à 80% de nos compatriotes soient indemnes ou peu fragilisés et que la vie continue pour eux, mais faire comme si les autres n'existaient pas est démocratiquement et moralement insupportable. On voit bien l'augmentation des refus de prêt, sous le double effet de l'application sans atténuation des critères imposés par le Haut conseil pour la stabilité financière et de la réduction des capacités contributives des emprunteurs.

Il y a aussi cette prétendue lame de fond qui bouleverserait les critères des ménages au moment de définir leur projet : on se détourne des plus grandes villes pour regarder du côté des villes moyennes où il fait bon vivre et du côté des campagnes. En somme, tout ce qui était essentiel pour les candidats à l'achat, la proximité et la densité des services publics et privés, la qualité et l'importance de l'offre pédagogique pour les enfants et les adolescents, la vie culturelle et sportive, tout cela n'aurait plus de prix particulier pour les Français. Singulier tout de même. Sans compter que la question du télétravail va se trancher au cas par cas : on estime que 40% des emplois pourraient en relever, mais dans quelle proportion ? Un jour, deux jours, plus ? Et dans un couple, les deux obtiendront-ils cette faculté ? On comprend aussi que le confinement ait majoré l'envie de logements lumineux, avec balcons ou terrasses, comme on entend que l'hypothèse du télétravail fasse souhaiter un bureau, pièce tombée en désuétude depuis longtemps. Tout cela est bel et bien, mais les ménages seront-ils en situation de passer à l'acte ? S'agissant de l'étage supérieur, synonyme de clarté, il coûte jusqu'à 30% plus cher... comme la terrasse augmente le prix de façon importante : résolument, ces aspirations sont réalistes pour les CSP +, guère pour les autres. Quant à la pièce en plus, elle majorera de l'ordre de 10m2 la surface... et le prix, dans une période peu propice pour les budgets domestiques.

Bref, il faut se méfier de l'ivresse post-confinement, qui ferait presqu'oublier que le pays traverse la plus grave crise économique de son histoire. La cécité nous priverait de la capacité à faire face lorsque les conséquences seront plus tangibles. Elle nous fait déjà courir le risque que le logement soit le parent pauvre des plans de soutien.

Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers, président du think tank « République et logement »

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