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POINT DE VUE

Rapport Nogal : le sens de l'histoire

La communauté immobilière ne l'a pas vu venir : Mickaël Nogal, jeune député de la Haute-Garonne, a reçu en décembre dernier du Premier ministre la mission de diagnostiquer le marché de la location et celui de la gestion des logements loués, pour proposer des évolutions favorables. Alors que l'encre de la loi ELAN (pour l'évolution du logement, l'aménagement et le numérique) n'était pas sèche, on s'est demandé quelle fantaisie avait pris le gouvernement. Mettant bout à bout la jeunesse, sinon l'inexpérience présumée du parlementaire choisi, et l'étrangeté du séquencement, bien peu ont pensé que l'affaire était sérieuse

Elle l'est et le Député Nogal entend déposer prochainement une proposition de loi transposant en dispositions législatives l'essentiel de son rapport, rendu avant les vacances à Édouard Philippe et à Julien Denormandie. Deux projets de mesures tourmentent la communauté immobilière. La crainte du changement en est la cause et aussi le doute sur la faisabilité. De quoi s'agit-il ?

Le rapport propose d'abord, avec l'intention de conduire davantage de propriétaires bailleurs à confier leur bien à un professionnel de la location et de la gestion locative, que les mandataires garantissent par obligation légale aux bailleurs la perception régulière de leurs revenus fonciers. Les administrateurs de biens eux-mêmes se réassureraient et pourraient choisir d'assumer une partie du risque directement. De la généralisation de la protection contre les impayés, il s'ensuivrait un abaissement des barrières à l'entrée pour les locataires, avec une sélection plus ouverte.

Mickaël Nogal propose ensuite, à l'instar d'autres pays, que les dépôts de garantie des locataires soient séquestrés dans des établissements financiers créés ad hoc : l'idée constitue à remédier aux problèmes de restitution des fonds au moment du départ du locataire. Ils se posent essentiellement dans le cas de relations non intermédiées entre propriétaires et locataires.

La première proposition va faire croître la valeur ajoutée des professionnels. Ils disposent depuis 1980 d'un produit qui lors de sa création apportait une innovation marquante, la garantie contre les impayés de loyers, les dégradations locatives et les frais de contentieux. Quarante ans après son arrivée sur le marché, ce produit n'a pas le taux de pénétration qu'il mérite et plafonne à 15%. En clair un logement locatif sur 6 seulement est couvert contre les impayés. Voilà pourquoi le législateur s'en mêle. Il n'est pas si fréquent que la décision publique cherche à favoriser l'intermédiation...et ici en l'occurrence à la place des professionnels ! N'est-ce pas même contre leur gré ?... Un peu.

Les organisations professionnelles, FNAIM, UNIS et SNPI, passé le scepticisme, soutiennent l'idée. La méthode fait l'objet de débats, mais elles adhèrent au principe que plus de valeur ajoutée, c'est plus de chances que les propriétaires recourent à vous. Les leaders ne réagissent pas différemment. Les courtiers et les assureurs planchent aussi et se livrent à toutes les simulations utiles. La communauté professionnelle veut en outre profiter de cette évolution pour installer un fichier des incidents de paiement des loyers, limité à l'alimentation et à la consultation par les administrateurs de biens et les agents immobiliers, fermé aux particuliers. La CNIL a déjà validé le projet.

Quant à la pluri-centralisation des dépôts de garantie, elle est rejetée d'emblée par la profession. Ses représentants considèrent qu'il appartient au professionnel de conserver ces sommes et de piloter leur restitution, déduction faite des dégradations ne relevant pas de la vétusté. La logique du rapport Nogal, qui privilégie le recours à un intermédiaire, ne peut-elle en effet être poussée à son terme ? L'administrateur de biens ne devrait pas être autorisé à transmettre le dépôt de garantie au propriétaire et devrait avoir l'obligation de le conserver. Il serait évidemment garanti financièrement en cas de détournement de ces fonds, comme la loi de 1970 les y contraint déjà lorsqu'ils choisissent de séquestrer les fonds, ce qui ne serait plus une option. Enfin, leur garant financier pourrait recevoir par la loi la mission de restituer le dépôt à première demande d'un locataire qui rencontrerait une difficulté avec un professionnel ne respectant pas les délais légaux de restitution.

En revanche, les particuliers qui autogèrent n'échapperaient pas à l'obligation de consigner les dépôts aujourd'hui en leurs mains sur un compte indépendant et protégé. Il reste à créer ces sortes de banques spécialisées : on se rappelle que la Caisse des dépôts et consignations elle-même, après s'être intéressée au sujet il y a quelque trois ans, a estimé l'entreprise difficile à mettre en oeuvre et son modèle économique délicat à trouver... Pourquoi ne pas imaginer d'ailleurs que les professionnels de la gestion soient désignés par le législateur comme habilités à séquestrer les dépôts de propriétaires qui ne leur confient pas la gestion de leur bien ?

L'investissement immobilier est le plus mobilisateur de capitaux, épargne et crédit. La France ne peut plus se satisfaire que les 2/3 du parc locatif privé soient gérés dans l'approximation, quand ce n'est pas dans l'enfreinte du cadre règlementaire. Le statut de locataire, a fortiori dans les métropoles où les loyers sont élevés, doit être associé à un haut niveau d'exigence. C'est le sens de l'histoire et c'est le pari de Mickaël Nogal. Il serait dommageable à l'investissement locatif, aux locataires et au crédit des professionnels immobiliers que le député ne gagne pas son pari.

Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers, président du think tank « République et logement » - 06 16 02 68 45

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